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Jonathan Littell décrypte le débat sans le son

Il a regardé le face-à-face entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy une première fois, en direct, puis une seconde fois, sans le son. "Dans le silence, on aperçoit très clairement le théâtre politique, observe le romancier Jonathan Littell. Si l'on fait une analyse sémiotique de ce débat, on voit bien que Ségolène Royal, dès le début de l'échange, installe un personnage de mère sévère et inflexible, qu'elle tient sans difficultés pendant deux heures alors que Nicolas Sarkozy, qui est pourtant une bête de scène, se comporte comme un petit garçon qui a fait une bêtise. Elle est ferme sur les principes, il louvoie en fuyant son regard."
L'auteur des Bienveillantes en veut pour preuve le "body language" des deux candidats, tous ces signes, ces codes, ces gestes qui installent un rapport de forces et donnent le "la" d'une relation. "Ségolène Royal est très frontale, elle le regarde sans cesse dans les yeux avec détermination en ayant l'air de dire "tu ne me fais pas peur". Nicolas Sarkozy, lui, baisse les yeux ou cherche le regard des deux journalistes comme s'il avait besoin d'un soutien. "Elle le domine complètement, comme une mère autoritaire qui sait se montrer souple, voire condescendante, mais qui s'énerve toute raide quand on passe la ligne rouge."
Né il y a 39 ans à New York, Jonathan Littell, qui a passé son bac dans l'Hexagone et qui a écrit Les Bienveillantes en français, a acquis la nationalité française au mois de mars. Trop tard pour s'inscrire sur les listes électorales, pas pour se faire une opinion sur la campagne présidentielle. "Je ne suis pas un partisan de Ségolène Royal car je trouve que le PS a encore quelques longueurs de retard sur le monde moderne, poursuit-il. Mais je ne souhaite pas la victoire de Nicolas Sarkozy, dont le discours a été complètement contaminé par l'extrême droite. Ses propos suintent le racisme et ses méthodes risquent de transformer les banlieues en une fabrique de terroristes."

"GROSSES CASSEROLES"
L'écrivain, qui a reçu à l'automne 2006 le prix Goncourt et le Grand Prix du roman de l'Académie française, vit à Barcelone mais il vote aux Etats-Unis. "Ma famille est de tradition démocrate, je me suis toujours intéressé à la politique, mais je n'ai commencé à voter qu'en 2000, lors de la première candidature de Bush, contre lui, bien sûr. Le président républicain a été un cauchemar pour le monde, Sarkozy sera lui aussi un cauchemar, mais seulement pour la France."
Pour Jonathan Littell, Ségolène Royal, en abordant ce débat, avait deux "grosses casseroles" : les accusations d'amateurisme et les doutes suscités, chez certains électeurs, par son "côté doux et féminin". "Elle a complètement inversé la situation, conclut-il. Si l'on met de côté le contenu du débat, qui n'a pas amené beaucoup d'idées nouvelles, on peut analyser cet échange comme un véritable match de boxe dont le vainqueur est incontestablement Ségolène Royal. Elle a compris qu'il lui fallait tout de suite installer un personnage qui pourrait être président. Et elle a parfaitement réussi."

Anne Chemin - © Le Monde - Article paru dans l'édition du 05.05.07.

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